Créations des finalistes
Rivière d'écoute de Leehwa Hong
« Rivière d’écoute emprunte sa forme au cheminement d’un cours d’eau, dans lequel la perception musicale évolue comme portée par le courant. C’est une métaphore du processus musical. La flûte représente le dessin de la rivière en montrant le grand débit de la pièce, avec ses courbes sinueuses. L’orchestre, quant à lui, joue le rôle du flux, parfois large et tumultueux, mais aussi calme et immobile. Au fil de l’écoute, la flûte traverse ainsi diverses situations musicales évoquant différentes configurations de l’eau. »
Leehwa Hong
Deux essences d'Andrzej Ojczenasz
« La pièce Deux essences s’inspire de la théorie de la désintégration positive développée par le médecin, psychiatre, psychologue et philosophe polonais Kazimierz Dąbrowski. La désintégration positive est le processus de développement interne de l’être humain, malgré et grâce à la crise et à la désintégration du monde extérieur. Ce sujet m’a vraiment ému : à notre époque, je constate une sorte de rejet de tout malaise. Kazimierz Dąbrowski s’est rendu compte qu’une partie de l’être humain consiste à traverser une crise et à faire face à des difficultés et à des douleurs qui, lorsqu’elles sont bien vécues, conduisent à une croissance intérieure. Il a décrit ce processus comme formant la théorie du processus de désintégration positive, qui mène à la fin à l’intégration secondaire : l’équilibre et l’union de deux essences : personnelle et sociale. Le processus passe par cinq niveaux :
1. Intégration primaire
2. Désintégration à un niveau
3. Désintégration spontanée à plusieurs niveaux
4. Désintégration multiniveaux dirigée
5. Intégration secondaire
Cette formule a été la source d’inspiration parfaite pour l’écriture d’une forme en 5 mouvements pour soliste et orchestre. Ainsi, la flûte soliste représente l’essence personnelle et l’orchestre l’essence sociale. Chacun des mouvements est lié à l’étape du processus. »
Andrzej Ojczenasz
Kiss de Selim Jeon
« Dans cette pièce inspirée de la notion de « Libido » de Freud, l’imagination du son très sensoriel et des hybridations du timbre m’a fascinée. Les cinq mouvements sont structurés de manières différentes par rapport aux textures et aux plans sonores instrumentaux. J’ai recherché les sons des attaques rapides tels que slap, pizzicatos sur les différents instruments qui ont une continuité, et débute aussi le 1er mouvement. Les « fenêtres » interviennent soudainement pour interrompre la régularité de cette continuité. Dès le 2e mouvement nous entrons dans un autre espace, où il y a un lyrisme et une virtuosité de la flûte. L’orchestration autour de la flûte est particulièrement privilégiée dans ce mouvement, et débute une autre partie des harmoniques qui reviennent au 4e mouvement. Nous arrivons ensuite dans une partie où les cuivres sont mis en évidence avec les percussions, et ici la flûte va avoir un autre caractère associé à celui des cuivres, donc brillant, pénétrant... Enfin ils créent une masse sonore de tutti et un centre de gravité des énergies de la pièce. Dans le 4e mouvement, les utilisations des instruments sont extrêmement individualisées, comme un concerto de tous les instruments, surtout à partir des harmoniques que j’ai utilisées dans le 2e mouvement. Le caractère de ce mouvement correspond à un mouvement lent, mène vers une obscurité. Pour mettre un terme à toute cette obscurité, la partie finale s’éclaircit et le solo de la flûte sera encore mis en valeur. Ma recherche porte également sur des différents types de temps, raccourcissement, étirement, illusion etc. pour intensifier les caractères de chaque mouvement. »
Selim Jeon
Création - co-commande de l'Orchestre national d'Île-de-France et de l'Ircam du lauréat de l'édition 2022 du Prix Élan
We will not waste a vowel d'Alexandre Jamar
« De même que mes pièces récentes, We will not waste a vowel a recours à une série de contraintes génératrices, dont la plus manifeste est l’utilisation de gammes ascendantes comme seul matériau de composition. Ce recours à la contrainte, je l’explique premièrement par volonté de ne pas écrire deux fois la même pièce : j’établis les règles du jeu musical avant l’écriture, de façon à ce que la musique couchée sur le papier soit nécessairement différente d’une pièce à l’autre. D’autre part, je pense tout comme Stravinsky que « ce qui m’ôte une gêne, m’ôte une force », et il me plaît de chercher des applications et dérobades aussi musicales que possibles face à l’obtusité d’une contrainte. « Even for a word, we will not waste a vowel » serait un proverbe anglo-indien rapporté par Perec dans l’apostille à La Disparition. L’auteur parle souvent de la joie paradoxale que lui procura l’écriture de ce roman, « une vraie joie en ce sens que la contrainte lève tout un système de censure d’approche, de censure de récit ». Je pense avoir éprouvé un sentiment analogue lors du travail à cette nouvelle pièce. »
Alexandre Jamar